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Enseigner après Samuel Paty et Dominique Bernard

Quatre ans après la mort de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, un an après celle de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, une minute de silence a été observée, lundi 14 octobre, dans tous les lycées et collèges de France. Commémorer ces événements tragiques, hier inconcevables, que constituent les assassinats de deux professeurs par des islamistes radicalisés est nécessaire, non seulement pour leur rendre hommage, mais aussi pour affirmer le soutien du pays à ses enseignants et pour tenter de tirer toutes les conséquences de ces drames dont on sait désormais qu’ils ne sont pas isolés.
A la stupeur qu’avait provoquée la mort du professeur d’histoire de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), assassiné pour avoir exposé des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression, s’était ajoutée la colère suscitée par l’incapacité de l’éducation nationale à protéger un enseignant ouvertement menacé. Depuis lors, l’institution a progressé : des consignes fermes destinées à faire remonter les incidents ont été diffusées et le partage d’informations avec la police et la justice permet de stopper plus rapidement les contenus menaçants sur les réseaux sociaux. Quant à la « protection fonctionnelle », qui prend en charge la défense juridique des enseignants menacés, injuriés ou harcelés, elle est beaucoup plus fréquemment accordée. Samuel Paty n’en avait pas bénéficié. Le « pas de vague » n’est plus la règle.
Mais l’assassinat de Dominique Bernard à Arras (Nord) a ajouté une dimension collective terrifiante pour la profession : son assassin, Mohammed Mogouchkov, russe d’origine ingouche âgé de 21 ans, a assuré, lors de ses interrogatoires, avoir volontairement ciblé le professeur de français, dont il avait été l’élève, car il enseignait « l’une des matières où on transmet la passion, l’amour, l’attachement au système en général de la République, de la démocratie, des droits de l’homme ». Il est clair désormais que l’école publique peut être visée pour ce qu’elle représente. Et qu’un professeur peut être attaqué indépendamment de ce qu’il fait, simplement pour ce qu’il est : l’incarnation des valeurs de la République.
Le sentiment de solitude, voire la peur, qu’éprouvent les enseignants est d’autant plus compréhensible que l’école est quasiment l’unique institution chargée de transmettre l’idéal laïque. Et que la situation internationale reste propice à l’agressivité et aux provocations. Dans ce contexte, des enquêtes de terrain dont Le Monde rend compte montrent que les professeurs se sont fortement mobilisés pour gérer les conséquences des attentats dans les classes. Une tâche particulièrement ardue et inédite, s’agissant d’expliquer à leurs élèves des événements qui les visent et les bouleversent eux-mêmes.
Dans ce climat lourd, ni la relativisation des exigences que pose l’application des principes laïques de liberté de choix, d’égalité et de respect – notamment la loi de 2004 interdisant le port ostensible de signes religieux à l’école –, ni l’hystérisation de la laïcité à connotation antimusulmane présente dans le débat politique, ni la réduction de cette laïcité à des interdits ou à un catéchisme, ne sont de nature à aider les professeurs. Au-delà des chocs, brutaux et répétés, c’est dans la durée et avec le ferme soutien de l’Etat que les enseignants pourront gagner en sérénité et continuer l’essentiel : protéger l’école contre les manipulations islamistes et éclairer leurs élèves comme le faisaient Samuel Paty et Dominique Bernard.

Le Monde

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